Le jour où j’ai failli (failli seulement) péter les plombs …
Comment peut-il s’agir de la même personne ? Violente puis … calme ? Rebelle puis … attentionnée ? Brutale puis … modeste ?
Nous avions été prévenus par le Directeur Financier du Groupe : « Le problème avec nos RH c’est que c’est toujours compliqué …même quand on fait tout pour leur simplifier la tâche. Il faut qu’ils mettent leur valeur ajoutée. Ils ont besoin d’exister …Ils peuvent pas s’en empêcher … »
A chacun ses combats, ses sentiments d’injustice, ses transgressions et aussi ses pétages de plombs…
La scène se passe in the middle of nowhere. Au fin fond de nulle part …Trois heures de train. Puis deux heures de route. Petites les routes. Rencontrer l’équipe de la filiale. Une unité de production. L’ancien DAF n’a pas été remplacé. D’ailleurs il ne voulait pas être remplacé. Il a même tout organisé pour ne pas être remplacé. Il a truffé ses macros Excel de chausse trappes, de codes, de mots de passe…Verrouillées qu’elles étaient. Puis il s’est mis en maladie. Le contrôleur de gestion supposé le suppléer a échoué. Pourtant il était « pas mal » nous a-t-on dit au siège. Il a essayé de faire des choses. Mais cela n’a pas plu. Il posait trop de questions. Il n’avait pas l’esprit maison. Il s’est isolé, qu’ils ont dit. Ou plutôt il n’a trouvé aucun support. Il a jeté l’éponge après 6 mois. Il a trouvé mieux ailleurs.
Nous y voilà. Le parking. La guérite. Les formalités. Les cartes d’identité. Les procédures de sécurité…
Nous attendons que l’on vienne nous chercher. Déjà 35 minutes d’attente. Cela commence à être longuet. On se lève. On tourne en rond. On redemande une 3ème fois au gardien si nous avons bien été annoncés. « Oui, oui… » notre Responsable Ressources Humaines (RRH) a bien été prévenue. Monsieur Durand, notre DG également. Ils sont prévenus. Ils sont en réunion. On va venir vous chercher. Ne vous inquiétez pas. Moi je ne m’inquiète pas pour eux mais plutôt pour le TGV du retour. Il n’y en a qu’un et il ne nous attendra pas…
Ça y est. Cela bouge. Enfin. 45 minutes tout de même…
La RRH : « Ah ! Vous êtes deux ! ».
Nous : « Oui nous sommes deux … »
La RRH : « Nous n’avions pas été prévenus…Cela ne vous dérange pas si nous marchons un peu ? »
Nous traversons le site. Pas une grosse activité. Pourtant le parking est plein. Ils sont nombreux mais on ne voit personne. Enfilade d’ateliers, de bureaux, de salles de réunions. Nous arrivons dans le bureau de la RRH. Comité d’accueil. Pas un café. Pas un verre d’eau.
La RRH : « Vous venez de Paris ? »
Nous : « Oui »
La RRH : « On ne nous avait pas prévenus que vous seriez deux … »
Echange de cartes de visites.
Je donne le CV de Jean, le manager qui m’accompagne. Au cas où elle ne l’aurait pas eu.
La RRH : « Merci. Je ne l’avais pas reçu… »
C’est faux. Je le vois dans son dossier parmi les CV d’autres candidats. Cela commence bien.
La RRH regarde le CV.
Elle se lance. Interroge Jean : « Vous avez fait HEC ! »
« Oui » répond Jean ne sachant pas trop si c’est une affirmation ou une question.
Blanc.
Elle regarde Jean comme un bête curieuse.
Jean ne sait pas trop quoi faire. Il sourit.
Blanc encore.
Elle tente de meubler. Elle s’aventure : « C’est une bonne école ! »
Jean, timidement : « Oui c’est une bonne école… ».
Quoi faire ? Quoi dire d’autre après 5 heures de voyage, 45 minutes d’attente, 10 minutes de marche ?
Elle reprend. Présentation d’usage : « Le site dans lequel nous nous trouvons est le site de production le plus important du Groupe. Le site historique. Nous avons aussi un centre de R&D intégré. »
Elle continue : « Le site est stratégique pour le Groupe… ».
C’est étonnant car au siège ils nous ont dit, off the records, que compte tenu des mauvais résultats du site il y avait un projet de transférer la production à un autre site, celui situé à côté de Prague, et donc de fermeture à terme. Ceci bien sûr si les performances ne sont pas redressées rapidement.
Nous disons oui à tout. Que dire d’autre ?
Puis vient la question. Bien préparée à l’avance. Pas vicieuse. Mais la question importante. Celle qui va déterminer si oui ou non nous serons retenus pour la mission de contrôle de gestion industriel. La question qui va déterminer si oui ou non le site sera fermé ou pas (mais cela la RRH ne le sait pas encore ou elle feint de ne pas le savoir). Elle s’adresse à Jean :
« Si vous pouviez vous réincarner en un personnage historique, quel personnage choisiriez-vous ? »
Blanc de nouveau. La boîte « pisse le sang » nous a-t-on dit au siège. A quoi elle joue ? Elle recrute un stagiaire ?
Respiration de Jean. Moi j’en ai marre. Je range mes affaires. Je cherche du regard le chemin qui me sépare de la porte. Quatre mètres à faire pour sortir, vite, ou je pète les plombs. Vraiment !
« Catherine II de Russie ! »
J’étais déjà parti dans ma tête et j’entends Jean répondre « Catherine II de Russie ».
La RRH mécaniquement : « Ah bon ! Et pourquoi ? »
Est-ce qu’elle sait qui c’est Catherine de Russie ? Moi je suis largué. Dans l’énervement je ne saurai pas dire quel siècle c’est Catherine de Russie…
Jean calmement avec conviction : « Parce que quand elle a démarré à la tête du pays, la situation de la Russie était catastrophique, qu’en plus elle était une femme et que tout le monde pensait qu’elle allait se planter. Et bien non. Elle a fait face. Et elle a réussi. A la fin de son règne l’empire était prospère… ».
Sacrée bonne femme Catherine de Russie ! Quel talent ce Jean ! Quelle patience ! Je suis bluffé…
Elle boit ses paroles. Ou alors elle s’en fout. Peu importe. Comme parfois certains décideurs, elle pose des questions et n’écoute pas les réponses. Dans le cas présent elle a l’air satisfaite de la réponse. Ou plutôt de sa question…
C’est elle maintenant qui plie son cahier et ramasse ses stylos.
La RRH : « C’est bon pour moi ! ». Je vais vous introduire dans le bureau de notre DG. Nous nous levons.
Elle poursuit : « Attendez moi ici je vais voir si je peux déranger Monsieur Durand. Il est très occupé vous savez … ». Elle passe dans le bureau d’à côté. Puis revient 5 minutes après : « C’est bon. Il va vous recevoir. Mais il ne peut pas vous recevoir à deux. Ce n’est pas la procédure ici. Seulement Monsieur Jean… ».
OK. Pas de souci. J’attends à côté.
20 minutes plus tard. La porte du bureau du DG s’ouvre à nouveau. Sourire de Jean.
Monsieur Durand : « Nous vous tenons au courant… Par téléphone… »
Moi bêtement : « Pourquoi ? »
Monsieur Durand : « Pour la mission ! »
Ah ! Bon ! Je croyais pour Catherine de Russie …
Retour à la gare. Fous rires. Re TGV. Sandwiches SNCF.
Une journée de 14 Heures.
Ah ! Catherine de Russie ! Sacrée bonne femme Catherine de Russie !
David BRAULT
Directeur Associé
Objectif CASH
PS : Jean a démarré la mission le Lundi suivant. Le site n’a pas été fermé. Pour l’instant.
Quant à Zidane et Materazzi. Ils se sont revus. Ils ont dit qu’ils s’étaient réconciliés…puis ils ont dit que non…que Zidane ne s’était pas excusé comme il faut … Personne ne saura jamais ce qui s’est vraiment passé entre eux …
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